Un nom sur les peaux

Publié le 7 Novembre 2013

Voilà, c’était le moment. Plusieurs années d’attente, d’apprentissage, pour en arriver là. Tiexl était seul dans la jungle, avec uniquement sa sarbacane et ses fléchettes enduites de curare, pour devenir un adulte.

Le soleil n’était pas levé depuis longtemps et, si la canopée vibrait et bruissait de vie, le sous-bois était sombre et silencieux. Tiexl se déplaçait dans un bruit, invisible dans la jungle, les marbrures de sa peau lui permettant de se fondre dans le décor. Il avançait le nez en l’air, à la recherche de traces bien particulières sur les troncs et les branches. L’exercice n’était pas aisé, car de nombreux autres animaux pouvaient laisser des traces semblables et l’induire en erreur ; il avait certes la journée entière pour réussir, mais la traque pouvait durer longtemps, trop longtemps.

Le jeune fils du feu aperçut soudain ce qu’il cherchait, à vingt mètres environ au-dessus du sol, éclairé par un rayon de soleil dans lequel volaient de petits insectes. Il chercha un autre arbre proche, bien orienté, assez gros et assez haut pour qu’il puisse atteindre sa cible de là. Il trouva rapidement un arbre répondant à ses besoins. Il s’assura que sa sarbacane ne ballotait pas, accrochée dans son dos, et que sa ceinture à laquelle étaient accrochées les fléchettes était bien serrée. Prenant la voie qui lui semblait la plus aisée, Tiexl entama son ascension.

L’écorce de l’arbre était lisse, on y voyait que peu d’aspérités et de rares lianes s’y accrochaient, mais cela ne présentait pas un grand obstacle pour Tiexl. La peau de ses doigts et de ses orteils évasés était ornée de très nombreux plis et replis, minuscules, et lui offrait une adhérence presque parfaite sur toutes les surfaces. Le jeune fils du feu grimpait donc aisément à l’arbre, ses mouvements lestes et précis, toujours aussi invisible dans le tableau d’ombres mouvantes de la forêt. Il parvint rapidement à une grosse branche qui lui offrait un point de vue parfait sur sa cible et s’y installa soigneusement afin que l’attente n’ankylosât ses muscles.

L’attente. L’immobilité. La moiteur. Les mouches qui couraient sur sa peau, en suçaient le mucus protecteur. Les rayons du soleil cuisant à travers le couvert de la canopée. Tiexl concentrait toute son attention sur le trou, le nid, dans le tronc en face de lui, mais il ne pouvait empêcher ses paupières de se fermer par instant.

Il ne pouvait laisser la lassitude et l’abrutissement de l’attente prendre le dessus, il devait les combattre et les vaincre, rester alerte pour réagir dès que sa proie reviendrait au nid. Il n’aurait pas d’autre chance, maintenant qu’il avait fait son choix, pour réussir l’épreuve avant que le soleil ne se couche derrière les arbres et quitter l’enfance. S’il échouait, il ne grandirait pas, il resterait pour toujours avec les femmes. Cela était absolument hors de question. Tiexl se déplia, doucement pour ne pas faire de bruit, et attrapa quelques feuilles qu’il mit dans sa bouche ; elles étaient très amères et le tiendraient éveillé un bon moment.

Un bruit dans les branches les plus hautes lui fit lever la tête, et il vit un éclair de couleurs variées, noir, blanc, rouge, orange, bleu. Enfin, il était là ! Le toucan se posa à l’entrée de son nid, sa tête tournant de gauche et de droite, comme menée par son long bec entrouvert.

Tiexl devait agir vite, avant que l’oiseau ne rentre dans son nid où il serait inaccessible. Respirant calmement, ainsi qu’on le lui avait appris, il prit sa sarbacane dans son dos et y glissa une fléchette. Il inspira profondément, visa, et souffla. La fléchette se planta dans le cou du toucan, qui sembla surpris. Tout son corps sembla s’affaisser, et il bascula dans le vide, vaincu par le curare qui s’était infiltré dans ses veines. Le fils du feu rattacha sa sarbacane dans son dos, un léger sourire sur les lèvres, et entreprit de retrouver le sol, descendant la tête la première.

Tiexl rentrait au village le cœur léger, le toucan ballotant à sa ceinture. Il connaissait bien le chemin qu’il devait emprunter, et il entendit bien avant de le voir les voix et les bruits de la vie quotidienne des siens. Mais il ne se dirigea pas directement vers le centre du village. À la place, il obliqua vers une cabane édifiée un peu à l’écart et s’arrêta devant le rideau de cuir qui masquait l’entrée. Il gratta contre le rideau et une voix caverneuse s’éleva de l’intérieur de la cabane.

_ Qui se présente ?

Tiexl déglutit, la gorge sèche.

_ Un enfant qui n’en est plus un.

_ Qu’il se présente pour être jugé.

Tiexl écarta le rideau de cuir et pénétra dans la cabane. La seule lumière provenait des braises rougeoyantes d’un feu d’herbes magiques et la fumée le prit à la gorge. Il s’avança, distinguant peu à peu le chaman assis en tailleur dans le fond de la structure. Il s’agenouilla devant lui.

_ Qu’as-tu rapporté pour prouver ta valeur ?

Le jeune fils du feu décrocha le toucan à sa ceinture et le tendit au chaman.

_ L’oiseau du tonnerre, vieux feu.

L’autre le prit, l’examina, et s’empara d’un couteau de pierre. Il s’en servit pour sacrifier le visage de Tiexl, y creusant de longues entailles sanglantes. Puis, il l’utilisa pour détacher de la tête du toucan son bec, tandis que le fils du feu en face de lui serrait les dents, tentant de maîtriser la douleur qui enflammait son visage. Il finit par lui tendre le bec, encore tâché de sang.

_ Tu as montré ta valeur, la puissance du feu coule dans tes veines. Le bec de l’oiseau du tonnerre est ta toi, et ton nom sera inscrit sur les peaux de la tribu. Tu peux annoncer à tous qui tu es.

Tiexl se releva et sortit, respirant la fraîcheur du soir qui tombait, un bonheur après la chaleur étouffante qui régnait dans la cabane. Il tourna la tête vers le centre du village, où les feux étaient déjà allumés, sachant qu’on l’attendait pour fêter son passage dans le monde des adultes. Il avait réussi, et jamais il ne serait oublié, son nom figurerait pour toujours sur les peaux, mémoire de la tribu. Il s’avança vers la lumière, et vers sa nouvelle vie.

Rédigé par Anaterya

Publié dans #Enfants du Feu

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Y
Tuer un toucan est gage de passage à l'âge adulte ? Qui eut cru à autant de simplicité à moins d'argumenter sur la rareté de l'espèce (encore que)?! La quête parait tellement facile que ça mériterait une suite dans laquelle on dirait à Tiexl : "hey man, try again, tu as vraiment cru que ça serait aussi fastoche?"
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A
Une nouvelle très plaisante à lire ^^
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